Fokus

Aucun souvenir assez solide

Dans l’obscurité de la Grange, une immense  étendue lumineuse donne forme à un paysage  fictionnel qui s’active sous l’effet de la lumière. Avec Aucun souvenir assez solide, installation majeure réalisée in situ, le duo d’artistes Barbezat-Villetard invite le public à  vivre une expérience artistique immersive  unique basée sur sa propre perception de  l’espace. Il le convie à un voyage imaginaire  dans un territoire physique et mental hors du  temps, se jouant des frontières entre dedans  et dehors, lumière et obscurité, visible et invisible, présence et absence, révélation et effacement. 

Depuis qu’ils se sont associés en 2014, le  collectif franco-suisse se distingue par la  création d’objets ou la mise en scène d’installations hybrides, souvent minimales voire  radicales, toujours ambitieuses, qui répondent au contexte architectural qui les accueille et confrontent le visiteur à un environnement spatio-temporel modifié. Le dialogue avec l’architecture, l’observation des  rapports entre intérieur et extérieur, l’implication de la lumière comme protagoniste essentielle et l’envie de créer des paysages aux  humeurs variables qui modifient l'expérience  physique, sensorielle et temporelle de l’espace, tels sont les axes récurrents de leur travail.  

L’architecture comme point de départ, la  lumière en vedette, le son pour une immersion complète 

Accompagné d’une gardienne soucieuse qu’il  s’acclimate aux conditions de l’évènement en  s’attardant quelques instants dans un sas prévu à cet effet, c’est par le biais d’un escalier  étroit et pentu que le visiteur accède à la  Grange de la Ferme-Asile. 

Arrivé à la dernière marche de l’escalier, il  fait plus sombre que d’habitude, il fait même  nuit. Les yeux peinent encore à s’habituer.  L’obscurité complète a été installée dans  l’espace. L’ambiance est feutrée, envelop 

pante. L’orientation est difficile. La charpente  emblématique de la Ferme ne domine plus. Il  est difficile d’évaluer les distances et les  échelles. On est à ciel ouvert. L’horizontalité  règne. Face au visiteur, une longue étendue  verte rase le sol tel un tapis. Elle est la seule  source lumineuse permettant d’y voir  quelque chose. Une atmosphère aussi merveilleuse qu’inquiétante s’en dégage.  

Un tapis de poussière phosphorescente 

Ainsi le visiteur se retrouve t’il face à un terrain de poussière, de sable phosphorescent. Poussière céleste ou souterraine ? Il cherche  à élucider. La poussière figure l’absent - ce  qui était là - et dont il ne reste plus qu’une  trace. Mais la matière est sensible et changeante, plus ou moins intense. La couleur  émet et révèle par endroit une présence en 

devenir - ce qui arrive. D’une première impression monochromatique et déposée, le visiteur devient le témoin d’une surface qui  s’active. La poussière est perméable. Elle  emmagasine la lumière et la restitue de manière toujours différente. La poussière offre  un champ de relations. Elle est ce qui dure.  Le paysage qui se déploie oscille entre appa rition et dispersion. Malgré ses dimensions  imposantes, il est précaire et voué à disparaître.  

Une expérience en 3 temps 

Bien que fictionnel, le projet Aucun souvenir  assez solide, suit les modalités temporelles  classiques d’une exposition. Il est ainsi rythmé par les jours et les heures d’ouverture. De  ce mouvement cyclique et prévisible découle  une timeline clairement définie. 

Cycle 1 : Exposition, la lumière naturelle Si, dans le noir, la perception de l’espace et  du temps semble totalement abolie, la  Grange nous rappelle à la réalité alors que  s’ouvre un store laissant pénétrer la lumière  du jour dans l’espace. Près d’elle, on devine  de la poussière tomber en quantité infinitésimale. De lieu d’accueil, la grange devient ac trice, elle reprend ses droits et se réveille le  temps d’un instant, révélant sa charpente dorée qui semble flotter dans l’espace. La fiction est suspendue. Selon les conditions météorologiques et la position du soleil, une fenêtre lumineuse, itinérante et fantomatique  apparait et imprègne la surface, activant la  matière phosphorescente.  

Cycle 2 : Révélation, la lumière artificielle  Le deuxième cycle voit les lumières de la  grange s’allumer et révéler l’architecture et le  dispositif du lieu comme centre d’exposition.  Deux rangées de huit spots de scène s’allument tour à tour et chantent comme des  notes sur une partition, irradiant et réveillant  des zones dans la surface. Leur déclenchement aléatoire et successif rappelle un lan gage, un rythme, une musicalité. La grange  s’affirme comme « machine de spectacle » et  se dévoile en tant que lieu de monstration,  avec tout son dispositif de représentation inhérent aux expositions.  

Cycle 3 : Noctambulisme, la poussière so nore  

Entre ces deux cycles, dans l’intervalle des  expositions et des révélations lumineuses, le  tapis, repu de lumière, semble dormir. Il est  autonome. La nuit a repris ses droits. Le visi 

teur se laisse alors bercer par un bruit  constant et spectral qui se répand telle une  poussière sonore à laquelle on ne peut  échapper. Le white noise fonctionne telle une  membrane. Il évolue sans cesse, passant des  fréquences aiguës à graves en fonction du  rythme d’activation des lumières artificielles  et de l’apparition de la lumière naturelle.  

Les voyageurs, l’effacement et la mémoire  de l’œuvre  

Sorti de l’introspection, le visiteur reprend  conscience et connaissance des autres. Ils  évoluent telles des ombres. Leurs traces, et  celles de ceux qui étaient là avant eux, modèlent la poussière en une mer des humeurs.  Les visiteurs sont des voyageurs, à la fois observateurs et participants. Libres de leur parcours, ils font le choix de fouler la zone ou  de la contourner. En introduisant avec eux de  la poussière du dehors déposée sous leurs  pieds, ils contaminent la pièce et collaborent  à son évolution, à sa transformation graduelle, à son effacement progressif. Plus ils marchent sur le tapis de poussière, plus ils en  redessinent les contours, participant ainsi à  l’éparpillement de la matière qui le compose.  Aucun souvenir assez solide, dont le titre est  une référence assumée au recueil de nouvelles du même nom de l’auteur français  Alain Damasio, parle de matière fiction, de  poussière, de trace. L’installation pose de  manière poétique la question de la temporalité de l’œuvre d’art, de sa mémoire, de sa ma térialité, de son statut et de sa réception. Révélant la Grange sous un jour totalement inédit, elle engage une réflexion autant sur le  rapport du spectateur à l’œuvre d’art que sur  sa relation au lieu d’exposition. Enveloppé  dans un « nulle part » imaginaire et fiction nel, le visiteur met tous ses sens et perceptions en éveil, il ressent ce qu’il perçoit mais  ne voit pas, il se laisse bercer dans une atmosphère où chaque élément a sa place et assume un rôle aussi défini que sur une partition musicale.  

L’installation porte une réflexion sur l’aspect  volatile et évanescent de la mémoire, sur son  effacement, et sur ce qui reste ou s’évapore  dans l’expérience sensible, mais elle intègre  également la notion de temporalité en lien  avec notre perception cognitive. Bien que se  mouvant dans un seul et même espace, le visiteur a le loisir d’éprouver les différents  temps inhérents au projet et de se projeter  dans un lieu autre à chaque fois, qu’il soit  matériel ou spirituel, désertique ou cosmique,  tellurique ou mystique… Il peut évaluer son  rapport physique et mental aux choses qui  l’entourent et décider de sa manière d’interagir avec elles. En faisant le choix d’entrer  en relation direct avec la physicalité de  l’œuvre d’art, il y laisse une empreinte et influe sur son évolution formelle, sur sa lente  métamorphose.  

Le tapis sous la poussière 

En complément à l’installation de Barbezat Villetard, l’artiste Colin Raynal a été invité à  écrire un texte qui documente l’évolution de  l’installation Aucun souvenir assez solide de  manière subjective et poétique. Au fil des  semaines, des chapitres (7 au total) viennent  s'ajouter à ce journal de bord constitué  d’aphorismes qui multiplient les pistes de  lectures possibles. Point d’entrée ou porte de  sortie de l’exposition, le texte prolonge l'expérience des visiteurs en ouvrant l'imaginaire. 

Barbezat-Villetard

Aucun souvenir assez solide
2021

Leuchtpulver, Computer, Halogenlampen, Rollo, Lautsprecher, Subwoofer, schwarzer Moltonstoff, Holz, Befestigungen, Kabel

Verschiedene Dimensionen

Ferme Asile, Sion, Switzerland
Photos: Annik Wetter & Guillaume Collignon

Barbezat-Villetard

Aucun souvenir assez solide
2021

Leuchtpulver, Computer, Halogenlampen, Rollo, Lautsprecher, Subwoofer, schwarzer Moltonstoff, Holz, Befestigungen, Kabel

Verschiedene Dimensionen

Ferme Asile, Sion, Switzerland
Photos: Annik Wetter & Guillaume Collignon